ASILE: Au conseiller d'Etat et à ses collègues
Prise de position parue dans le 24 Heures du 31-12-04

«Faites acte de courage en vous opposant par tous les moyens légaux aux décisions de renvoi»

Non, M. Mermoud, il n'y a pas dans notre canton de majorité silencieuse pour accepter de renvoyer la centaine de familles qui vivent chez nous depuis de nombreuses années et qui se sont accrochées à l'espoir légitime de pouvoir y rester.

Le Grand Conseil a voté une résolution vous demandant d'agir pour ne pas les renvoyer. La société civile connaît une mobilisation inattendue. Les très nombreux messages que je reçois me confortent dans ma conviction, mais je vous concède qu'ils ne sortent pas des urnes sur ce point précis. Je m'appuie sur des faits cependant. En 1996, les Vaudois ont très largement refusé l'initiative contre l'immigration clandestine visant à durcir l'asile (VD 66%, CH 53,7%). En 2000, les Vaudois ont rejeté à une large majorité également l'initiative demandant une réglementation de l'immigration, dite des 18% (VD 76%, CH 63.8%). En 2004, Le canton de Vaud (67%) et les cantons romands (60%) ont largement accepté la naturalisation facilitée. La Suisse allemande l'a rejetée à 60%, (CH 56,8%). Ce que je veux prouver par là, c'est qu'il y a dans la perception des étrangers une sensibilité vaudoise et romande, différente de celle de la Suisse allemande et que vous devez en tenir compte.

Vous dites vous appuyer sur de solides principes. Vous brandissez l'argument que si ces familles n'étaient pas renvoyées, on créerait, «un eldorado de permissivité qui aurait un tel effet d'attractivité que nous serions vite débordés» et que «notre marché du travail est déjà engorgé». C'est le langage des propagandistes de l'UDC nationale, qui vise à faire des abus, c'est-à-dire de l'exception, la règle. Vous l'utilisez inconsciemment, car ce n'est pas votre credo. Ces demandeurs d'asile étaient, voici quelques années, des réfugiés de guerre, dont la vie était menacée, en particulier dans les Balkans. Aujourd'hui, on les traite de «réfugiés économiques», alors qu'ils sont victimes d'avoir été encouragés à déposer une demande et de s'être bien intégrés durant une interminable procédure dont toutes les autorités portent aussi la responsabilité. Ils sont de plus victimes de l'application à géométrie variable, c'est-à-dire politique, des critères de la fameuse circulaire Metzler. Le groupe mixte que vous avez accepté de mettre en place a pu constater des bizarreries dans l'étude souvent sommaire de nombreux dossiers à l'ODR, à Berne. Les décisions de ce dernier sont attaquables, car selon l'avis de droit du professeur Pierre Moor, de la Faculté de droit de l'Université de Lausanne, qui se base sur la Constitution, il apparaît clairement que le DFJP devrait rendre des décisions administratives motivées, ce qui n'a pas été le cas.

Je sais que vous et tous vos collègues du Conseil d'Etat êtes sensibles aux situations de ces familles. Je sais que vous-même savez vous démarquer de vos collègues alémaniques. Votre image d'homme d'Etat et la cohésion du gouvernement ne souffriront pas, au contraire, si vous décidez de trouver avec détermination une solution à ce problème. Car jusqu'ici, vous avez été sur la défensive. Aujourd'hui, la prise de conscience collective de la situation exceptionnelle de ces personnes s'est profondément modifiée, ce qui rend insoutenable l'exécution des renvois exigés par Berne. Et puis le risque de créer un précédent est pratiquement nul. En effet, l'accélération notable des procédures d'asile depuis deux ans rend presque impossible le renouvellement de telles situations à l'avenir. Enfin, dans une interview donnée le lendemain de Noël au Matin dimanche , le conseiller fédéral Moritz Leuenberger s'exprime ainsi, à propos des requérants du canton de Vaud: «Les Suisses ont une responsabilité par rapport à leur histoire et à leurs traditions. Ils ne peuvent pas toujours se prévaloir du pays d'Henry Dunant, être fiers de cette terre d'asile et oublier ces valeurs lorsque vient le temps de les appliquer dans la politique quotidienne.» Ces paroles doivent vous inciter à faire acte de courage en vous opposant avec détermination par tous les moyens légaux aux décisions de renvois du Département fédéral de justice et police dirigé par M. Blocher. Les Vaudois et les Suisses de la patrie d'Henri Dunant vous en sauront gré.

YVES CHRISTEN, conseiller national, ancien président de l'Assemblée fédérale